Table des matières
Théorème de Hilbert et bases de Gröbner
Quelques rappels
Polynômes, notations et rappels
Soit un corps.
On note l’anneau de polynômes à coefficients dans . Un élément de cet anneau est appelé polynôme.
On note le corps des fractions de (rappelons que est un anneau intègre). C’est le corps des fractions rationelles. Rapellons que l’on a
Un monôme est un polynôme de la forme avec pour tout . On le note également avec . Le degré total de est .
Pour on a l’unité de l’anneau .
Les monômes forment une base du -espace vectoriel : tout polynôme s’écrit de manière unique comme somme finie de monômes :
avec et sauf pour un nombre fini de .
Dans l’écriture, , le scalaire est appelé coefficient du monôme dans .
Le degré total de est défini par
Un polynôme est dit homogène si tous les monômes apparaissant avec un coefficient non nul ont le même degré total.
Le polynôme est homogène. Le polynôme n’est pas homogène.
Idéaux, notations et rappels
Dans un anneau (commutatif) , un idéal est un sous-ensemble qui est un sous-groupe pour l’addition et tel que l’implication suivante est satisfaite: .
L’exemple typique d’un idéal est obtenu à partir d’une combinaison linéaire déléments de l’anneau: soit une famille d’éléments de (cette famille est indexée par l’ensemble et peut être infinie). On définit l’idéal engendré par la famille comme l’ensemble des combinaisons linéaires finies des à coefficients dans . Explicitement
Soir un anneau.
Vérifier que est un idéal de .
Vérifiez que tout idéal de est de cette forme.
Un cas particulier de l’exemple précédent est le cas d’une famille finie. Dans ce cas on indexe les élements de la famille par des entiers, typiquement avec , . Dans ce cas on note l’idéal engendré par cette famille.
Dans l’anneau des polynômes , voici quelque exemples de tels idéaux.
L’idéal nul : .
L’anneau lui-même : .
L’idéal “irrelevant” : où est l’ensemble des éléments inversibles de c’est-à-dire .
Soit un anneau
Un idéal de est dit de type fini s’il existe une famille finie d’éléments telle que .
Un anneau est dit noethérien si tout idéal de est de type fini.
Le premier objectif de ce cours sera de donner une preuve constructive d’un théorème classique dû à Hilbert.
L’anneau est noethérien.
L’objectif n’est pas tant le résultat en lui même mais plutôt la méthode, completement effective, ainsi que les outils développés qui serviront par la suite pour d’autres problèmes algébro-géométriques.
Avant celà, nous rappelons quelques résultats qui donnent une caractérisation de l’idéal ainsi qu’un critère effectif d’égalité entre idéaux.
Une intersection quelconque d’idéaux est un idéal.
Donner une preuve du lemme précédent.
Pour tout sous-ensemble d’un anneau il existe un unique plus petit idéal contenant . C’est l’idéal engendré par la famille des éléments de .
Donner une preuve de la proposition précédente.
Soit un anneau et un idéal. Soient des éléments de . Alors on a l’équivalence
Donner une preuve du corollaire précédent.
On obtient enfin un critère simple d’égalité d’idéaux.
Soit un anneau et soient des éléments de . Alors on a l’équivalence
Donner une preuve du corollaire précédent.
Pour un corps de caractéristique différente de , on a l’égalité . En effet, l’inclusion de gauche à droite est claire et valable pour tout corps. Par contre, on a
En caractéristique , on a l’inclusion stricte .
Dans l’anneau , pour quels corps de base a-t-on l’égalité d’idéaux ?
Théorème de Hilbert pour les polynômes à une variable
C’est un résultat bien connu que l’anneau des polynômes à une variable est principal. Nous en presentons une preuve constructive qui sera le modèle de la preuve du théorème de Hilbert dans le cas général.
Soit un polynôme. Pour , il existe des scalaires avec tels que . On a . Le polynôme est appelé terme dominant de . On écrira .
On a .
Soit . On a .
Il est très simple de tester si un monôme non nul de divise un autre monôme non nul de . En effet divise si et seulement si .
En particulier divise si et seulement si .
La même chose est vraie pour les polynômes à plusieures variables. Le monôme divise si et seulement si pour l’ordre (non total) qui compare chaque coefficient.
Soit un polynôme non nul.
Pour tout , il existe un unique couple d’éléments de tels que avec ou .
On donne une preuve sous forme d’algorithme.
Entrée : . Sortie : .
et . Tant que et que divise faire : , . Donner .
Vérifions que cet algorithme fait ce qu’on lui demande. À chaque tour de l’algorithme, on a toujours l’égalité
Par ailleurs, l’algorithme s’arrète lorsque est fausse. On a donc en sortie l’alternative ou ne divise pas c’est-à-dire l’alternative ou c’est-à-dire l’alternative ou .
Il reste à verifier que l’algorithme termine. À chaque étape, soit devient nul, soit son degré diminue. En effet, l’opération consiste à éliminer grâce à le terme dominant de . Au bout d’un nombre fini d’opérations, si n’est pas nul, son degré sera donc plus petit que celui de .
Vérifions enfin que cette écriture est unique. Si on a deux écritures et , alors on a . Si , alors et on a
Une contradiction. On en déduit et comme est intègre et , on a .
Tout idéal de est principal : tout idéal est de la forme avec . De plus est unique à multiplication par un scalaire non nul près.
Si , on a fini. On suppose donc que contient au moins un élément non nul et on pose
Par hypothèse l’ensemble ci-dessus est non vide et admet donc un minimum. Soit alors tel que et . On montre l’égalité . Comme , on a l’inclusion . Soit donc . La division euclidienne nous donne des polynômes et tels que avec ou . On peut réécrire et comme , on obtient . Par minimalité de , on déduit donc .
Il reste à monter l’unicité. Si alors et . On obtient et donc (lanneau est intègre). En particulier donc donc et sont des constantes non nulles.
Division des polynomes
Ordres admissibles
On a vu qu’un point crucial de la preuve du théorème de Hilbert pour les polynômes à une variable est l’utilisation de l’ordre pour comparer les monômes et déterminer la divisibilité. Les choses sont plus complexes lorsqu’on a au moins deux variables et nous aurons besoin de choisir des ordres ayant de bonnes propriétés sur l’ensemble des exposants des monômes.
Rappelons la notion d’ordre et d’ordre total.
Soit un ensemble et une relation.
- La relation est une relation d’ordre si elle est réflexive (pour tout , on a ), antisymétrique (si et alors ) et transitive (si et alors ).
En général, on note une relation d’ordre avec le symbole . La relation ( et ) est notée .
- Une relation d’ordre est dite totale si pour tout , on a ou .
Un ordre admissible sur est une relation d’ordre sur l’ensemble des monômes (ou de manière équivalente sur l’ensemble des exposants) vérifiant des conditions suivantes:
- L’ordre est total.
- L’ordre est compatible avec la multiplication: si alors .
- L’ordre est bien ordonné : tout ensemble non vide de monômes a un élément minimal pour .
La première condition permet d’écrire tout polynôme comme une suite strictement décroissante de monômes.
La seconde condition parle d’elle même : compatibilité avec la multiplication, si alors .
La troisième condition impose la propriété très utile suivante : l’ensemble des monômes inférieurs à un monôme donné est fini. En effet, s’il un tel ensemble était infini, on pourrait construire une suite décroissante infinie contredisant la condition d’ordre bien ordonné.
Exemples d’ordres admissibles
L’ordre lexicographique est défini par :
Il est à noter que l’on “lit” les éléments et de gauche à droite.
L’ordre lexicographique inversé est défini par :
On peut voir cet ordre comme un ordre lexicographique où on “lit” les éléments et de droite à gauche.
L’ordre lexicographique gradué est défini par :
On compare d’abord les degrés puis on applique l’ordre lexicographique.
L’ordre lexicographique gradué inversé est défini par :
On compare d’abord les degrés puis on applique l’opposé de ordre lexicographique inversé.
Une définition équivalente de l’ordre lexicographique gradué inverse est la suivante :
Soit un entier et .
On a les ordres suivants sur les monômes de degrés .
Pour . Pour . Pour . Pour . Pour , on a les ordres suivants sur les monômes de degrés .
Pour . Pour . Pour . Pour . On a et .
Les ordres , , et sont admissibles.
Donner une preuve du lemme précédent.
Algorithme de division des polynomes
Nous suppeserons désormais que l’anneau des polynômes est muni d’un ordre admissible .
Soit non nul. On écrit .
- Le multidegré de est .
Soit .
Le monôme dominant de est le monôme .
Le coefficient dominant de est le scalaire .
Le terme dominant de est le polynôme .
Le multidegré, le monôme dominant et le terme dominant du polynôme nul ne sont pas définis.
Il est à noter que le monôme dominant et le terme dominant dépendent de l’ordre choisi. On les note parfois et .
Pour , on a
Soient des polynômes non nuls.
On a et .
Si , on a .
Si alors .
Donner une preuve du lemme précédent.
Nous donnons maintenant un algorithme de division semblable à la division euclidienne.
Soit une famille ordonnée de polynômes non nuls.
Pour tout , il existe des polynômes dans tels que
et que les deux conditions suivantes soient satisfaites :
- pour tout , on a ou .
- ou est une combinaison linéaires de monômes dont aucun n’est divisible par .
Dans la proposition ci-dessus, le polynôme est appelé reste de la division de par . Il est noté
On donne une preuve sous forme d’algorithme.
Entrée : . Sortie : .
pour et . . (On introduit une variable locale qui désigne le polynôme intermédiaire des divisions à chaque étape.) Tant que faire : division faux. Tant que et division faux faire : Si divise alors (On divise par et on arrête) division := vrai. Sinon (On essaie le polynôme suivant de ) Si division faux faire : (si aucun élément de n’a marché, on regarde le coefficient suivant de ) . Donner .
Vérifions que cet algorithme fait ce qu’on lui demande.
Commençons par montrer qu’à chaque tour de l’algorithme, on a toujours l’égalité :
On a deux cas à considerer. Si divise alors on a l’égalité . Les autres termes de l’égalité restant inchangés, le résultat en résulte. Si on a aucune divisibilité et que la variable “division” a encore la valeur “faux” alors on a l’égalité : les autres termes sont inchangés.
On voit donc qu’en fin d’algorithme, comme , on aura l’égalité voulue.
Montrons maintenant que l’algorithme s’arrête effectivement. Pour celà il suffit de montrer que le multi-degré de la variable locale diminue à chaque étape. On a les deux même cas à considerer. Si divise alors devient et on a éliminé son terme dominant. Si on a aucune divisibilité et que la variable “division” a encore la valeur “faux” alors devient et le multi-degré a encore diminué.
La condition sur est claire : on ne change que lorsque la variable “division” a la valeur “faux” c’est-à-dire qu’aucun des ne divise et on ajour alors a .
Il reste à montrer les conditions sur . Mais on a vu que le multi-degré de est décroissant au cours de l’algorithme avec en début d’algorithme. On a donc toujours Comme les monômes apparaissant dans sont de la forme , si est non nul, on a toujours .
Soit l’ordre lexicographique et soient et . Soit enfin .
Pour , l’algorithme de division donne le résultat suivant:
Pour , l’algorithme de division donne le résultat suivant:
En particulier, on voit deux choses :
- L’algorithme de division depend de l’ordre de la famille.
- La condition est une condition suffisante pour l’appartenance mais non nécessaire.
Nous verrons que les bases de Gröbner fournissent une solution à ces deux problèmes : la division ne depend plus de l’ordre et l’annulation du reste est une condition nécessaire et suffisante à l’appartenance à un idéal.
Soit l’ordre lexicographique et soit .
Soit avec et . L’algorithme de division nous donne :
Soit avec et . L’algorithme de division nous donne :
Calculer le reste de la division du polynôme dans les cas suivants.
Avec l’ordre et la famille .
Avec l’ordre et la famille .
Avec l’ordre et la famille .
Avec l’ordre et la famille .
Théorème de Hilbert
Fixons un ordre admissible .
Idéaux monomiaux
Les idéaux monomiaux sont une classe d’idéaux pour lesquels les problèmes de division, appartenance, existence d’une base, etc. sont très facile à résoudre.
Un idéal de est dit monomial s’il existe un sous-ensemble d’exposants (eventuellement infini) tel que .
Le premier problè auquel on se consacre est le problème d’appartenance : pour un idéal monomial et , à quelle condition a-t-on ?
On commence par le cas où est un monôme.
Soient un idéal monômial et un monôme. On a alors l’équivalence ( il existe tel que divise ).
L’implication de droite à gauche est claire. Réciproquement, on écrit avec et sauf pour un nombre fini d’entre eux. En développant les en monômes, on voit que doit apparaître dans l’un d’entre eux au moins. Il existe donc un qui divise .
Le cas général en découle.
Soit un idéal monômial et soit . On a équivalence entre les propositions suivantes :
- .
- Tous les monômes de appartiennent à .
- est une combinaison linéaire de monômes de .
Les implications (2. 3.) et (3. 1.) sont claires. On montre (1. 2.). On procède par récurrence sur le nombre de monômes de . Si est un monôme, le résultat est clair. Sinon, on écrit et . On écrit avec et sauf pour un nombre fini d’entre eux. En développant les en monômes, on voit que doit apparaître dans l’un d’entre eux au moins. Il existe donc un qui divise donc . On en déduit et le résultat en découle par récurrence.
On obtient un critère d’égalité pour les idéaux monomiaux.
Deux idéaux monomiaux sont égaux si et seulement si ils contiennent les même monomes.
On en déduit le théorème de Hilbert pour les idéaux monomiaux.
Soit un idéal monomial. Alors il existe un sous-ensemble fini tel que . En particulier est de type fini.
On procède par récurrence sur le nombre de variables . Si , alors . On pose (il est à noter que dans ce cas est un ensemble d’entiers). Pour tout , on a donc divise et donc . On en déduit .
Supposons le résultat prouvé pour variables. On écrit les monômes en les variables sous la forme où est un monôme en les première variables et . On considère l’idéal suivant (obtenu par “projection” de sur ) :
Il est clair que est un idéal monomial. Par hypothèse de récurrence, il existe des exposants de tels que .
Pour chaque , il existe, par définition de , un entier tel que . On pose . Maintenant pour chaque , on considère l’idéal défini par (la “section” de engendré par les monômes où apparaît à la puissance ) :
Il est clair que est un idéal monomial pour tout . Par hypothèse de récurrence, il existe des exposants de tels que . Nous allons maintenant montrer l’égalité :
On commence par montrer que les monômes de droites sont dans . Pour , on a . Et comme , on a en déduit . Pour et , on a et par définition .
Réciproquement, montrons que tout monôme de est divisible par l’un des monômes de droite. Soit donc . De deux choses l’une : soit , soit . Dans le premier cas, on a par définition donc il existe un tel que divise . Par ailleurs comme , le monôme divise . On en déduit que divise . Dans le second cas, on a et . En particulier, il existe un tel que divise . On en déduit que divise .
On a donc montré que est de type fini . Il reste à vérifier que l’on peut prendre pour générateurs des éléments de . Mais pour tout , on a donc par le Lemme, il existe tel que divise . On peut donc remplacer par ce qui prouve le résultat.
Voici quelques exemples de base obtenues à partir de la méthode développée dans la preuve ci-dessus.
Soit . On applique la méthode du théorème précédent. On a tout d’abord . On a donc . On a ensuite
On en déduit une base pour :
Soit . On applique la méthode du théorème précédent. On a tout d’abord . On a donc . On a ensuite
On en déduit une base pour :
Soit un ordre sur (ou sue les monômes de ) satifaisant les deux premières conditions pour être un ordre admissible (c’est-à-dire que l’ordre est total et compatible avec la multiplication). Alors est admissible si et seulement si pour tout .
Supposons que l’ordre est admissible et soit le plus petit monôme pour l’ordre . On doit montrer que . Si ce n’est pas le cas, on a et en multipliant par on obtient contredisant la minimalité de .
Réciproquement, il nous faut montrer que tout ensemble non vide de monômes a un élément minimal. Soit un tel ensemble de monômes avec non vide. On pose . Par le lemme de Dickson, il existe des éléments tels que . Quitte à réordonner les termes, on peut supposer que l’on a . Nous allons montrer que est le minimum de . Soit donc avec un élément de cet ensemble. On a et donc il existe un tel que divise . On a donc avec . Par hypothèse, on a et donc ce qui prouve le résultat.
Le théorème de Hilbert
Nous allons maintenant montrer le théorème de la base de Hilbert de manière effective. Un outil essentiel et qui servira également plus tard est l’idéal des termes dominants (encore une fois on a choisi un ordre admissible ).
Soit un idéal.
L’ensemble des termes dominants de est défini par :
L’idéal des termes dominants de est l’idéal engendré par .
L’idéal est monomial (on peut remplacer par dans la définition).
Soit et l’odre lexicographique.
Pour , on a . On remarque en particulier que l’on a et .
Pour avec et , remarquons que l’on a pas . En effet, . Cependant, on a
et donc . En particulier mais . Dans cet exemple, on a donc une inclusion stricte .
Soit un idéal. Alors il existe dans tels que .
L’idéal est monomial engendré par la famille . Le lemme de Dickson nous donne le résultat.
Tout idéal est de type fini.
On peut supposer . On écrit alors avec . Nous suffit de montrer que l’on a l’égalité : .
L’inclusion est claire. Soit donc . En utilisant l’algorithme de division, on écrit
Si , on a terminé. Supposons donc . On a alors par construction que pour tout , le polynôme ne divise aucun monôme de . Mais on a . En particulier et donc l’un des divise . Une contradiction.
On en déduit le corollaire habituel qui affirme que est noethérien.
Toute suite croissante d’idéaux de est stationnaire.
Soit une suite croissante d’idéaux. On voit alors que est un idéal. Il existe donc tels que . Pour chaque , il existe tel que . Soit . On a alors et donc . La suite est stationnaire.
Soit une suite croissante d’idéaux, montrer que la réunion est un idéal.
Bases de Gröbner
Définition
La base construite dans la preuve précédente du théorème de Hilbert a des propriétés très spéciales. On fixe toujours un ordre admissible .
Soit un idéal. Un sous-ensemble fini de est appelé base de Gröbner de si on a
Soit un idéal.
L’exemple.2 avec mais où et , montre que tout sous-ensemble générateur de n’est pas nécessairement une base de Gröbner de .
Soit , et . Nous allons montrer que est une base de Gröbner de pour l’ordre lexicographique.
Nous devons donc montrer l’égalité . On a toujours l’inclusion .
Soit donc non nul. Il existe tels que . Si le monôme n’est pas dans l’idéal , alors . Mais alors par définition de l’ordre lexicographique, on a . Mais s’annule sur les points pour tout . Comme est un polynôme en la seule variable qui s’annule pour tous les réels, doit être le polynôme nul. Une contradiction.
Tout idéal admet une base de Gröbner et pour toute base de Gröbner , on a .
L’existence d’une base de Gröbner est donnée par la Proposition : on choisit tels que . La preuve du théorème de Hilbert nous donne une preuve de la dernière assertion car on a alors aussi .
Nous allons maintenant étudier les propriétés des bases de Gröbner plus en détails. Nous verrons ainsi qu’elles peuvent être utilisées pour bien plus qu’une simple preuve du théorème de Hilbert. Nous donnerons également de algorihmes pour construire des bases de Gröbner.
Nous commençons par montrer que les bases de Gröbner sont bien adaptées à l’algorithme de division.
Soit une base de Gröbner pour un idéal et soit un polynôme. Alors il existe un unique polynôme tel que
- il existe tel que ;
- ou est une combinaison linéaire de monômes dont aucun n’est divisible par .
En particulier, le reste de la division de par est indépendant de l’ordre de la base.
L’algorithme de division nous donne des polynômes tels que et tels que vérifie la condition 2. ci-dessus. En posant , on a la condition 1. et l’existence.
Montrons maintenant l’unicité. Soient donc deux décompositions vérifiant les conditions 1; et 2. ci-dessus. On a . Si alors et . Il existe donc un indice tel que divise . C’est impossible car aucun monôme de ni de n’est divisible par . On a donc et .
De la dernière assertion découle directement de l’unicité de .
On en déduit un critère effectif (au moins si on a une base de Gröbner) d’appartenance à un idéal.
Si est une base de Gröbner de et . Alors si et seulement si le reste de la division de par est nul.
Soit et .
On a montré au corollaire précédent que si est une base de Gröbner d’un idéal , alors on a l’équivalence si et seulement si .
Montrer que la réciproque est vraie, à savoir que si pour tout polynôme on a l’équivalence si et seulement si , alors est une base de Gröbner de .
Critère de Buchberger
L’exemple.2 montre qu’il n’est pas simple en général de prouver qu’une famille d’éléments est une base de Gröbner. Nous allons introduire dans ce paragraphe une méthode pour décider si une famille est une base de Gröbner.
Pour ce faire, on introduit une nouvelle opération sur les polynômes.
Soient des polynômes non nuls. Soit et .
Le plus petit commun multiple de et est le monôme avec défini par pour tout .
Le -polynôme de et est défini par
Le principe du -polynôme est de produire à partir d’une combinaison linéaire de et un polynôme où l’on a éliminé les termes dominants de et et donc avec un “nouveau terme dominant”.
Reprenons l’idéal de l’exemple.2. On a avec et et on prend l’ordre lexicographique. On a alors pour plus petit commun multiple et
C’est en utilisant l’opposé de cet élément qu’on a montré que n’est pas une base de Gröbner de car on a , en particulier mais .
On a toujours et . Cette opération permet donc de construire de nouveaux éléments de l’idéal avec de nouveaux termes dominants ce qui permettra de completer la famille en une base de Gröbner.
Soit et l’ordre lexicographique.
Soient et . On a et
Soient et . On a et
On en déduit
En particulier n’est pas divisible par ni par . Donc .
Soit avec et tels que pour tout .
Si , alors est une combinaison linéaire à coefficients dans des -polynômes et on a ou pour tout .
Soit le coefficient dominant de de telle sorte que l’on a pour tout . Remarquons que par hypothèse on a .
On commence par calculer . Le plus grand commun multiple des termes dominants est et on obtient
On pose de telle sorte que , , et . On écrit
Le dernier terme s’annule et . On obtient donc
Le résultat en découle. Pour montrer la dernière assertion, il suffit de remarquer que donc si est non nul, son terme dominant est strictement inférieur à .
Nous pouvons maintenant donner un critère pour qu’une famille de polyômes forme une base de Gröbner.
Soit un idéal. Alors est une base de Gröbner pour si et seulement si pour toute paire d’éléments de avec .
Si est une base de Gröbner alors etxs .
Réciproquement, on suppose que l’on a pour toute paire d’éléments de avec . Soit non nul, on veut montrer . Comme , on peut écrire
avec . On pose et . D’après le Lemme, on a .
On considère maintenant toutes les écritures possibles et pour chacune de ces écritures le multi-degré . Comme l’ordre est admissible, l’ensemble de ces multi-degrés a un minimum et on choisit pour lesquels ce minimum est atteind. On cherche à montrer que .
En effet, si , il existe alors tel que donc et disive ce qui impose .
Il reste à montrer que la condition de minimalité impose . Par l’absurde, supposons que l’on a . On sépare alors les termes de degré dans l’écriture ci-dessus :
Les monômes qui apparaissent dans les deux dernières sommes sont de multi-degré strictement inférieur à ce qui signifie que la première somme est de multi-degré strictement inférieur à . Pour les indices tels que , on écrit, . La somme
satisfait alors les hypothèses du Lemme et il existe des scalaires tels que
On calcule maintenant les -polynôme ci-dessus. On a pour tout tel que . On en déduit
avec . Il est à noter que comme et ont le même multi-degré (égal à ), on a et donc . On obtient donc
Nous utilisons maintenant notre hypothèse, à savoir . Ceci impose en particulier, en utilisant l’algorithme de division, l’existence des polynôme tels que
avec . On obtient donc
Chaque facteur de la première somme a un multi-degré strictement inférieur à et la chose est vraie des facteurs des deux dernières sommes. On a donc obtenu une nouvelle écriture de avec des facteurs de degré strictement inférieurs à ce qui contredit la minimalité de .
Reprenons l’Exemple.2. Soit avec et . Soit , soit , soit et soit . Montrons que est une base de Gröbner de pour l’ordre lexicographique. Pour celà il suffit de monter que . Or on a
L’algorithme de division donne
et donc .
Autre exemple, soit et montrons que est une base de Gröbner de pour l’ordre lexicographique avec . Calculons
L’algorithme de division donne
et donc .
On a vu que aux Exemples.2. et que est une base de Gröbner de pour l’ordre lexicographique. Dans cet exercice on se propose de vérifier que le reste de la division polynomiale ne dépend pas de l’ordre des éléments d’une base de Gröbner.
Effectuer la division de par .
Effectuer la division de par .
Comparer les restes et les quotients et remarquer que le reste ne dépend pas de l’ordre mais que les quotients en dépendent.
Soit un idéal et une base de Gröbner de .
Montrer que si et seulement si .
Montrer que et .
Algorithme de Buchberger
Dans cette section, on se propose de construire de manière effective des bases de Gröbner d’un idéal. Le principe est de satisfaire le critère de Buchberger et donc d’ajouter aux générateurs de l’idéal autant de -polynômes que nécessaire.
Soit un idéal non nul de . L’algorithme suivant détermine une base de Gröbner pour en un nombre fini d’opérations.
Entrée : . Sortie : Une base de Gröbner de avec .
Faire : Pour toute paire de , faire : . Si faire . Tant que . Donner .
À chaque étape, l’ensemble augmente et au départ donc on a toujours . Montrons que . C’est clair au départ puisqu’on a . Par ailleurs, à chaque étape, on ajoute à des éléments de la forme avec et . On a donc avec et ce qui prouve et donc . On voit donc que est une famille génératrice de l’idéal .
Lorsque l’algorithme s’arrête, on a et donc tous les restes des -polynômes formés à partir d’éléments de et obtenue après division par sont soit nuls soit déjà dans . Mais s’ils sont dans , le reste doit être nul donc dans tous les cas et est une base de Gröbner d’après le critère de Buchberger.
Il nous reste à montrer que l’algorithme s’arrête. Pour celà, notons et . On considère l’évolution de cet idéal. À chaque étape, comme est obtenu à partir de (l’ensemble à l’étape précédente) en y ajoutant des éléments, on a toujours . Montrons que si alors . En effet, si a un nouvel élément, il est de la forme avec . En particuier par l’algorithme de division n’est divisible par aucun des termes dominants des éléments de . On a donc mais . Au cours de l’algorithme, on produit donc une suite strictement croissante d’idéaux, les . Cette suite ne peut être infinie car est noethérien donc l’algorithme s’arrête.
Cet algorithme n’est pas optimal. Par exemple, une fois qu’un reste est nul, il reste nul tout au long de l’algorithme et il n’est pas utile de le recalculer.
On se place dans avec l’ordre lexicographique gradué. Soient , et . Testons tout d’abord si est une base de gröbner de . On a
Ainsi n’est pas une base de Gröbner. On applique l’algorithme de Buchberger. A la première étape, on ajoute . On recalcule les -polynômes (sachant qu’on a pas besoin de recalculer dont on a déjà ajouté le reste). On a et . On obtient
Donc n’est pas une base de Gröbner. On continue et on pose et . On a
- ,
- ,
- ,
- ,
- ,
- et
- .
On vérifie que
pour tout . Donc est une base de Gröbner de .
On a maintenant une méthode effective pour tester l’appartenance à un idéal, le problème . En effet, on commence par construire une base finie de . Puis une base de Gröbner de et enfin on calcule . On a ().
Soit avec et . On se demande si est dans .
On choisit pour ordre l’ordre lexicographique gradué. On commence par déterminer une base de Gröbner . On obtient . On constate alors que . Donc .
Bases de Gröbner réduites
L’algorithme de Buchberger produit des bases de Gröbner qui peuvent être de très grande taille. Nous allons maintenant expliquer comment obtenir des bases de Gr”obner “minimales”.
On commence par le lemme suivant.
Soit une base de Gröbner d’un idéal . Soit tel que . Alors est encore une base de Gröbner de .
Il faut vérifier que . Mais on sait que . Comme , on a .
Ce qui conduit naturellement à la définition suivante.
Une base de Gröbner d’un idéal est dite minimale si les conditions suivantes sont satisfaites:
- Pour tout , on a .
- Pour tout , on a .
Pour les base de Gröbner miniales, on a unicité de l’ensemble des monômes dominants de la base.
Soient et deux bases de Gröbner minimales d’un idéal . Alors on a
Par définition des bases de Gröbner, on a
En particulier, pour tout , il existe tel que divise . De même pour ce , il existe tel que divise . On en déduit que divise . Si on avait , alors , une contradiction à la minimalité. Ainsi et donc et ne diffèrent que d’un scalaire. Comme , on a déduit . Ainsi on a montré . Par symétrie, on a l’inclusion inverse et le résultat.
Cependant on a base unicité de la base minimale comme le montre l’exemple suivant.
Reprenons l’Exemple. On a
En remplaçant , et par , et on obtient une base avec coefficients dominants égaux à . On a donc . On voit alors que les deux premiers monômes sont engenrés par les autres. On peut donc supprimer et pour obtenir une base de Gröbner minimale de :
Remarquons qu’on obtient d’autres bases minimales en prenant
pour tout . On a donc pas unicité des bases minimales.
Pour remédier à ce problème, on a besoin de conditions un peu plus fortes.
Une base de Gröbner d’un idéal est dite réduite si les conditions suivantes sont satisfaites:
- Pour tout , on a .
- Pour tout , aucun monôme de n’est dans .
Reprenons les Exemples et . Rappelons que l’ordre est l’ordre lexicographique gradué. Parmis les bases minimales
pour tout , on voit que seule la base est réduite.
Une base réduite est minimale.
Soient un ordre admissible et un idéal non nul de . Alors admet une unique base de Gröbner réduite.
Soit une base de Gröbner minimale et soit . On dira que est réduit pour s’il satisfait la seconde condition des bases réduites à savoir qu’aucun monôme de n’est dans l’idéal .
On va modifier chaque élément de pour le rendre réduit. On remarque tout d’abord que le Lemme impose qu’un élément est réduit pour si et seulement si il est réduit pour tout base minimale de le contenant. En effet, le Lemme nous dit que l’ensemble des termes dominants des bases réduites est toujours le même ainsi la condition d’être réduit est identique dans ou . L’avantage de cette remarque est de pouvoir modifier un élément d’une base minimale tout en préservant le caractère réduit d’autres monômes de cette base.
Prenons . S’il est réduit, il n’y a rien à faire. Sinon, on pose et .
Montrons tout d’abord que est aussi une de Gröbner base minimale. Comme , on a . Par ailleurs, on a . En particulier aucun terme dominant des polynômes de ne divise ce qui impose que est un monôme de . On a donc . En particulier et comme la condition de minimalité ne dépend que des termes dominants, on a que est bien une base de Gröbner minimale de .
Montrons maintenant que est réduit pour . Ceci est imposé par définition et par la condition imposée sur le reste dans l’algorithme de division : aucun des monômes dominants d’éléments de ne divise les monômes de .
En procédant de cette manière avec chaque terme de , on obtient une base déduite.
Il reste à montrer que cette base est unique. Soient donc et deux bases de Gröbner réduites pour . En particulier ces bases sont minimales donc le Lemme impose
Pour tout , il existe donc tel que . On veut montrer que . On regarde . On a donc . Mais les termes dominants de et s’annulent dans donc . De plus aucun autre monôme de ni de n’est divisible par un élément de . Ceci impose que . En particulier, on obtient .
Les bases de Gröbner réduites nous donnent une méthode effective pour tester l’égalité entre idéaux, le problème . En effet, on construit des bases de Gröbner réduites et de et . On a alors ().
Au prochain chapitre, nous donnerons des applications des bases de Gröbner à des problèmes de type géométrique.
Géométrie
Polynômes et variétés affines
Dans ce chapitre, nous rapellons des définitions concernant les liens entre géométrie (algébrique affine) et polynômes.
La plupart de ces notions ont été vues en M1 ou dans le cours “courbes algébriques”. Nous passerons donc rapidement sur les preuves eventuelles.
Variétés affines
On fixe un corps et un entier naturel. Rappelons que l’on pose .
Soit un sous-ensemble. La variété affine associée à est le sous-ensemble de défini par
Un sous-ensemble de est appelé variété affine s’il existe tel que .
Lorsque est fini composé des éléments , on écrira
Les ensembles suivants sont des variétés affines
- est un cylindre.
- est une sphère.
- est la réunion des deux précédents.
- est l’intersection des deux précédents.
Par contre l’ensemble n’est pas une variété affine.
Soit et l’idéal de engendré par . Alors on a .
Exercice.
Soit une variété affine, alors il existe un nombre fini de polynômes tels que .
C’est le théorème de Hilbert.
On a les résultats suivants.
L’intersection de variétés affines est encore une variété affine.
La réunion d’un nombre fini de variétés affines est encore une variété affine.
L’ensemble est une variété affine.
L’ensemble vide est une variété affine.
Un ensemble fini de points est une variété affine.
Exercice.
Les bases de Gröbner vont nous permettre de répondre aux questions :
- La variété affine est-elle vide ?
- Si la variété affine a un nombre fini de points, peut-on les décrire ?
- Peut-on déterminer la “dimension” de la variété affine ?
- Peut-on déterminer si la variété affine est régulière ou lisse ?
- Peut-on déterminer le “lieu singulier” de la variété affine ?
Considérons dans le système d’équations polynomiales suivant:
On en cherche les solutions c’est-à-dire l’ensemble avec où , et . On a avec l’idéal engendé par ces trois polynômes. Si on détermine une base de Gröbner pour pour l’ordre lexicographique, on obtient avec , et .
Il suffit donc de résoudre les système , et . On obtient pour la troisième équation
En injectant dans la seconde équation on trouve et dans la première on obtient . Le système a donc quatre solutions.
Idéaux des variétés affines
Soit un sous-ensemble de (par nécessairement une variété affine. On définit l’idéal de noté par
L’ensemble est bien un idéal de .
Exercice.
Soit un idéal de . On a toujours .
Exercice.
Si est une variété affine de la forme , alors on a en général .
Voici deux exemple symptomatiques pour lesquels on a avec une unique variable et le corps des nombres réels.
Si , on a et .
Si , on a et .
Dans le premier cas, la variété ne “voit” par les puissances. Dans le second cas, il “manque des points”.
Le lien entre et est subtil et dépend du corps. Ainsi si on remplace par dans le second exemple, on obtient pour que et .
Soit un sous-ensemble de .
On a .
Soit une variété algébrique, on a toujours .
Exercice.
Soient des sous-ensembles et des idéaux.
On a .
On a .
Exercice.
Pour tout ensemble et tout idéal , on a
Exercice.